Carnet de guerre : série de textes fictionnels s’inspirant des actions de nos missions sur cette campagne en Vastanie. Vous y retrouverez les récits de certaines actions qu’on vécut les pilotes de la JTFF en vol.
Carnet de guerre – Épisode préambule : ici – Épisode 1 : ici – Épisode 2 : ici – Épisode 3 : ici
SHELL 1-1 KC135 MPRS
20 Nm SUD EST LIPSTICK – 23′ 000ft
Le ravitailleur orbitait maintenant depuis près d’une heure au profit d’un strike de nuit sur un terrain ennemi plus au nord. Le Sergent-chef GRANT allongé sur sa banquette bâillait, il regarda sa montre. 1h55 du matin. Il distinguait bien les feux de formation des 2 F18 qui ravitaillaient en ce moment sur les 2 nacelles en bout d’ailes. Pour cette mission il n’avait pas eu à sortir le boom. Seuls des appareils de la NAVY étaient programmés. Les marins utilisaient encore le panier et non pas la perche comme le faisait l’AIR FORCE. Rien que pour cette simple raison il préférait travailler au profit de l’AIR FORCE, au moins il avait du boulot.
Ce soir il ne faisait que regarder au travers des hublots latéraux de son petit espace à lui. Car dans ce grand avion qu’était le Stratotanker, le petit espace en bout de queue était son sanctuaire. Les quelques mètres carrés étaient équipés de 3 banquettes à coussin bleu côte à côte. Toutes trois étaient munies de repose menton qui permettait aux opérateurs de s’allonger sur le ventre pendant les longues missions d’AAR. En général des boomers en formations prenaient place sur les banquettes latérales pour observer, mais la centrale était le trône de GRANT, elle possédait la petite console de commande . Cette console située devant lui était muni de trois cadrans lui donnant la position de la perche dans son domaine de débattement. En dessous on pouvait trouver de nombreuses commandes d’éclairage de feux de l’appareil, des nacelles de bout d’ailes, de la perche etc. à gauche de la console étaient placés deux leviers. Le premier muni d’une boule permettait de sortir et rentrer la perche tandis que le deuxième était en fait le joystick de contrôle de deux petites ailettes dont était dotée la perche pour en contrôler le mouvement. Outre une radio et un intercom, le sergent-chef avait aussi à sa disposition les indicateurs de quantité carburant et la commande d’ouverture du dôme de protection de son habitacle.
Il tendit la main vers le thermos de café qui était sur la banquette de gauche, en le cherchant il toucha dans l’obscurité un des sandwichs qu’il avait récupéré au mess avant de partir… en voilà une bonne idée. Il salivait à l’idée du thon frais dont était fait le sandwich. Son casque Grésilla : « Charly » Il avait reconnu la voix du navigateur du ravitailleur. Là-bas à près de 40 m en avant ils étaient trois dans le cockpit . Un commandant de bord, un pilote et un navigateur. Dans les tankers le boomer était le seul sous-officier. Il avait de la chance, le commandant MacHenzy avait instauré une saine ambiance dans laquelle Grant ne souffrait pas de cette différence de statut. Les autres l’avaient toujours considéré comme leur égal dans l’équipage. Ils formaient une bande d’amis qui sortaient toujours groupés le soir en escale. Bien souvent le ltn DAVID PERCY navigateur lui passait un de ces grades pour qu’il puisse bénéficier du mess officier et ne soit pas séparé des autres. Il était content d’entendre son ami à l’intercom, non seulement cela brisait son isolement, mais en plus çà l’aiderait à se maintenir éveillé.
“Oui DAVID?” “On arrive bientôt au point tournant tu peux me confirmer qu’ils sont bien six derrière nous? “ “Attends je te dis ça” répondit le boomer. Le sous officier ouvrit le dôme de protection à l’aide d’une manette sur sa droite. lentement une pompe hydraulique relevait l’espèce de coquille qui protégerait la verrière du boomer, cette coquille était en fait un cache aérodynamique pour réduire la trainé induite par le poste de Grant qui avait été rajouté aux gracieuses lignes de ce superbe liner transatlantique qu’était le 707.
Charly s’avança sur sa banquette pour mieux voir sur les côtés, il commença à scruter l’obscurité sur sa droite, au-dessus de la mer. il comptait les feux de formations très discrets des chasseurs bombardiers de l’US NAVY puis il regarda sur sa gauche “Je confirme six en comptant les deux qui sont sur nos nacelles” “Ok je transmet au commandant” répondit le navigateur. Le boomer s’aperçut qu’ils survolaient la terre, en dessous depuis son poste ventral il pouvait voir quelques lumières malgré le conflit qui régnait en Vastanie. il cherchait à voir un peu plus de détails à terre dans l’obscurité quand le mouvement d’un des F18 sur sa gauche attira son attention.
Le F/A-18C évoluait en tangage comme l’aurait fait un dauphin, une fois , deux fois et la panier céda. Le boomer réagi immédiatement, il enfonça l’alternat brisant la consigne ZIPLIP qui prédominait dans cette opération : “BREAKAWAY BREAKAWAY” de l’autre main il ferma l’arrivée de carburant afin de stopper la fuite . A ce moment-là un message passa sur l’UHF : “NAILS 21, 1 heure”… Le pire des scénarios pour un tanker était en train de se réaliser.
Un chasseur ennemi avait réussi à passer au travers de la Fighter Sweep pour se jeter sur une cible stratégique comme un tanker ou un AWACS. Pire SHELL 1-1 était en prise avec 6 avions au ravitaillement. Un loup tentait de rentrer dans la bergerie. Les Hornets n’étaient plus là , le ciel semblait soudain vide. “Commandant ils ont dégagé” Personne ne répondit au sous officier, Charly sentit l’appareil s’incliner doucement de plus en plus jusqu’à l’obliger à s’agripper à sa console. Il perçut les grondements des quatre réacteurs augmenter jusqu‘au surrégime , il n’avait jamais entendu les moteurs tourner aussi vite. Bientôt en plus de l’inclinaison l’appareil se mit à descendre fortement , la vitesse augmentait, le vénérable quadri-réacteur de 30 ans vibrait de plus en plus . le thermos de café chuta sur le plancher.
Grant était passé en moins de cinq secondes d’un état de somnolence à la panique totale. Son cœur battait à tout rompre, il luttait avec la gravité pour se maintenir sur sa banquette. Loin de la suractivité qui régnait dans le cockpit il ne pouvait pas savoir que ses trois amis luttaient pour leur survie. Il était impuissant. Il le savait depuis qu’il avait accédé à ce poste de boomer pour quitter la maintenance au sol : il n’était pas maître de sa vie. En cas de problème il ne pouvait que faire confiance aux trois hommes à l’avant de l’appareil. La perception de cette impuissance fit naître le plus violent sentiment de peur qu’il n’avait jamais connu. Plus que la mort c’était le faite de ne rien pouvoir y faire qui le faisait paniquer. Il parvint à saisir l’intercom quand une violent secousse secoua le KC135 , il semblait que tous les longerons et les rivets de l’appareil allaient se séparer. Par le hublot gauche il avait aperçu un long plumeau de flamme, tel un réacteur en poste combustion.
Le R60M de fabrication soviétique avait quitté le rail du MIG 21 2 nm plus tôt. Appelé APHID-B par l’OTAN, ce petit missile à guidage infrarouge s’était montré très intéressé par la chaleur dégagée par les CFM56 du quadriréacteur lancés à plein régime. Il avait un temps hésité entre un F/A-18C en défensive et le KC135. Le chasseur-bombardier avait alors lancé une série de leurres infrarouges qui eut en fait pour effet malheureux de ramener le R60M sur le gros quadriréacteur. Le missile de 44 kg passa à moins de 3 mètres de l’aile droite de l’avion. La charge de proximité se déclencha. Trois kilogrammes d’explosif militaire déchirèrent l’enveloppe en projetant des milliers de débris dans le ciel. Le saumon droit du tanker fut littéralement pulvérisé, plusieurs shrapnels se fichèrent dans l’aile au niveau de l’aileron, coupant plusieurs durites d’hydraulique. Le réacteur extérieur droit absorba des dizaines de débris. Les aubes de la soufflante souffrirent mais ce furent les compresseurs axiaux qui subirent le plus de dommages. Très vite déséquilibrés par les dommages sur leurs aubes les compresseurs se mirent à vibrer. Les paliers n’étaient pas conçu pour supporter de tels efforts. Les aubes des deux étages du compresseur axial se détachent. les professionnels appellent ce phénomène le “blade shedding”, lancées à près de 40000 tr/min elles avaient perforé la chambre de combustion. Le carburant continuant d’arriver en grand, la chambre de combustion déchiré, le moteur ne mis pas une seconde avant d’exploser et de se détacher de sa nacelle. Sur trois moteurs le géant des airs aurait pu continuer son vol mais des débris avaient heurté la queue.
“On a perdu le 4 ! “ annonça le copilote en regardant par sa vitre droite pour tenter de confirmer ce qu’il pouvait lire sur les instruments. “Ok balance la check feu moteur et aide moi à le tenir en roulis” le commandant de bord jeta un bref coup d’œil derrière lui pour voir que le navigateur faisait bien son job, il était en contact avec l’AWACS pour lancer l’appel de détresse. c’est alors que le commandant MCKENZY perçut un effort dans le manche qui lui glaça le sang. Le volant du KC135 poussait en arrière dans ses mains. “Bill ! pousse le manche avec moi” “On repasse 18000 ft, on remonte” annonça le copilote “C’est bien çà le problème!” le commandant jeta un œil sur les galvanomètres du pilote automatique et vit que l’axe de tangage était en butée arrière.
Résultat des dommages sur l’arrière de l’appareil, le vérin trim de profondeur était bloqué et déroulait la vis sans fin qui contrôlait le plan horizontal. “Merde le vérin tangage!!! coupe le PA , coupe le PA, il déroule” hurla le commandant tout en poussant de toutes ses forces sur le manche. Mais l’appareil continuait à lever le nez alors que le copilote s’était joint à l’effort de son commandant. “ C’est sans effet !! ça continue !! on passe +15° d’assiettes” la vitesse commençait à chuter dans quelques secondes ils allaient décrocher. “David ! prévient Charly ! on évacue !” “Charly !! CHARLY !! on évacue !! sort de là !!!”
Le navigateur avait à peine fini sa phrase qu’il avait défait sa ceinture ventrale . il lui appartenait d’ouvrir la trappe d’évacuation de l’équipage situé à l’avant du flanc gauche de l’appareil. Cette trappe signalée à l’extérieur par un liseré jaune était toute proche pour l’équipage mais à plus de 30 mètres du boomer. 30 mètres dans un appareil passant les 20 degrés d’assiette…. Le Ltn Percy était agile, en un éclair il avait rejoint la trappe et pris son parachute au passage. Il actionna la poignée d’urgence après avoir brisé la protection en plexiglas. Le système fonctionna parfaitement. la porte se détacha de l’appareil pendant qu’un déflecteur sorti automatiquement en avant du trou béant. Il allait protéger l’équipage au moment du saut du vent relatif afin qu’ils ne soient pas plaqués contre la cellule de l’appareil.
Le commandant vit le badin s’approcher des 150 knt “25 ° à cabrer !!! il ne s’arrête pas !! on va décrocher putain ! non !!! “ le pilote avait les avant-bras tétanisés par l’effort sur le manche . il sentait la gravité le tirer vers l’arrière au fur à mesure que l’avion cabrait. Lui non plus n’y arriverait pas. Tout lui parut soudain clair , son visage se détendit, c’était fini. En moins d’une minute ils avaient perdu cette partie. il regarda son copilote qui luttait sur sa droite , se retourna, le navigateur était debout devant la trappe d’évacuation.
“SAUTE DAVID SAUTE !! c’est foutu !” Le lieutenant quitta le bord sans réfléchir.
La claque , le froid glacial de l’hiver au-dessus de la Vastannie à plus de 20 000 ft. Le noir de la nuit un temps balayé par le vent relatif , il accélérait maintenant vers le sol. Moins de 30 secondes plus tard la petite capsule barométrique dont était équipé son parachute commanda l’ouverture automatique du parachute. Le froid, le lieutenant n’était vêtu que de sa combinaison de vol et de ses sous-vêtements ignifugés. avec une température proche des -10° c à 5000 ft il était transi par le froid. il regarda en bas pour préparer son arrivée, il ne voyait rien. Ce noir … il ne verrait pas le sol arriver , comment allait-il se préparer à l’impact, et s’il tombait en mer ! Ou était-il au moment de l’explosion ?
Merde c’était lui le navigateur ! il était d’un coup incapable de se rappeler s’ils étaient déjà au-dessus de la mer. Soudain, sur sa droite, une violente explosion suivie d’une colonne de feu. Il comprit immédiatement qu’il s’agissait de son avion… et surement de ses camarades.
Au moment de sauter il avait aperçu l’ombre de Charly qui tentait de tenir debout au fond de la soute. Tout était allé si vite ! il n’y croyait pas ! Et maintenant? Le cerveau est parfois surprenant. D’un coup celui-si fit remonter un souvenir à David. Le sergent instructeur du cours de survie qu’il avait suivi l’année dernière avait eu cette phrase qui résonnait maintenant dans sa tête : “ Battez-vous jusqu’au bout, car la pire des journées en cavale sera toujours mieux que la meilleure des journées en capture s’ils vous choppent. » La température augmentait au fur et à mesure qu’il descendait , il pouvait le sentir. sa main droite se porta sur sa poitrine son Colt 45 était là ….. le sol arrivait.