Carnet de guerre – épisode 1

Carnet de guerre : série de textes fictionnels s’inspirant des actions de nos missions sur cette campagne en Vastanie. Vous y retrouverez les récits de certaines actions qu’on vécut les pilotes de la JTFF en vol.

Carnet de guerre – épisode préambule : ici

Retour sur la mission °1 de la campagne : ici

24 fevrier 2001

10 Km sud de TUAPSE – Route A137

Le Master Sergeant Rylet était chef de char dans les Marines depuis 8 ans. Rentré trop tard pour la guerre du golfe il tenait enfin son occasion. A la tête de son peloton de M1A1 Abrams il déboulait sur la petite route côtière entre SOTCHI et TUAPSE. Les huiles l’avaient baptisé UNICORN . Pour cette poussée il était accompagné par un HUMMER qui suivait le convoi 200 mètres en retrait à son bord deux JTAC détaché par une escadrille de l’armée de l’air Française. Le M1 de Rylet était en deuxième position. Les quatre blindés fonçaient à vitesse maximale, ils semblaient ne se soucier d’aucune menace. Pourtant les carcasses de T55 qu’ils passaient prouvaient que les Vastanne étaient là. En tourelle, il regardait le ciel, son rythme cardiaque venait d’accélérer, il transpirait, une ombre venait de passer sur son blindé. Il tournait frénétiquement sur lui-même autant que son équipement pouvait lui permettre dans un tourelleau de char d’assaut. Il n’avait plus de souffle, il avait soudain la sensation d’étouffer. « Putain de chèche » il enleva le foulard camouflé qui le protégeait du froid et la jeta au fond du blindé d’un geste de colère. « Merde mais où sont-ils ? »

Malgré le fait qu’ils étaient en février il avait chaud tout d’un coup. « putain de frag ! Mais ils sont où ? » Du pied droit il écrasa la pédale qui lui permettait d’émettre sur le poste radio HF. Ils roulaient trop vite sans rien voir, ils n’avaient pas le temps de checker les hameaux qu’ils traversaient à tombeau ouvert, les carrefours, les fermes sur le bas-côté auraient pu abriter une équipe ATGM. « Ramex t’as toujours contact avec Bulldog ? » « Affirm ! Répondit le Français, j’en ai envoyé un éclairer jusqu’à l’objectif, le deuxième est 5 Nm à l’ouest en train de scanner avec son pod. »

« Putain d’aviateur » maugréa le sous-officier après avoir relâché la pédale.

Plus tôt dans la matinée, à peine débarqué, son commandant de compagnie l’avait convoqué. Dans la cour d’une ferme à proximité de la plage où ils avaient beaché, deux LVTP7 disposés en V formaient le PC avancé de la division. Le LVTP7 était laid aux yeux de Rylet, croisement entre un M113 et une péniche de débarquement l’engin n’avait comme seul avantage que le fait d’être amphibie. Sous motorisé, non blindé, sans armement ce transport de troupe ne méritait pas le nom de blindé pour un cavalier.

En entrant dans le véhicule son commandant l’interpella : « Rylet, reconnaissance offensive, on a un problème » sans s’arrêter il sortit de l’amphibie et étala une carte sur le capot d’un HUMMER sur lequel 2 pilotes en combinaison de vol prenaient le soleil. « Vous avez du feu Sergent ? » Rylet sorti son ZIPPO et alluma la Marlboro de son capitaine. « Alors voilà le village de de Golovinka possède le seul pont sur cette rivière avant TUAPSE, les reliefs à l’est et la mer à l’ouest ne nous laissent que cette route pour monter rapidement sur TANGO. Si ce pont saute on va être bloqué entre le Caucase et la mer. Je veux que votre peloton fonce sur la rive sud et se poste en mesure d’arroser la rive nord pour protéger le pont en attendant que l’infanterie arrive. Des LVTP7 de la 4° compagnie vous suivront » Le capitaine roula la carte et regarda pour la première fois le sergent dans les yeux « Chef, il faut ouvrir la route coute que coute, je ne peux pas mettre les transports en tête, la progression serait trop longue. Voici RAMEX et son adjoint , deux pilotes détachés par le commandement AIR, ils sont qualifiés JTAC ils vous suivront en HUMMER et guideront une patrouille de A10, ils éclaireront l’axe et vous aideront à détruire tout point de résistance.. »

Le FLAP FLAP de l’obus de 100 mm qui fila au-dessus de sa tête le ramena au temps présent. Il baissa la tête dans un geste inutile. L’obus finit sa course dans un champ sur sa gauche. Le blindé de tête effectua un quart de tour droite quasiment sur place laissant sa chenille droite sur la route, finissant sa course le nez dans un fossé bordant la route.

« Et merde, voilà ! JAUNE !! on se déploie dans le champ à droite face à 2 heures ! » La radio grésilla « Jaune 2 » « Jaune 4 suivi » Rylet écrasa l’intercom, mais pilote du M1 avait déjà réagi. « Pedro vire à droite dans le champ, danger fossé 15 mètres, poste-toi au cul du cabanon » Le première classe Monteiro avait repéré un endroit moins profond pour franchir le fossé, plein gaz il franchit l’obstacle. « Merde Pedro tu fais chier hurla le tireur » surpris par la violence de la manœuvre « Jaune 3 ! », « Jaune3 ! » « oui chef ici Jaune 3 on va bien mais on est HS on a pris un coup dans le barbotin avant, on a déchenillé et on s’est tanqué dans le fossé, il nous faut un M88A1 pour sortir de là . » « Ok ne bougez pas, on va d’abord se charger de la salope qui vient de nous allumer » « Jaune ! Tour d’horizon ! » « Ici Jaune 2 Contact ! » « Envoyé » Hurla le chef de peloton. « Jaune 2, T55 1800 mètres azimut 1322 millièmes » Les tourelles des trois blindés tournaient déjà. Rylet se laissa tomber dans la tourelle, sur l’écran TV sur sa droite lui était recopié la visée du tireur, il avait en un éclair reconnu la tourelle ronde parfaitement lisse du blindé d’origine soviétique. L’image lui parut saugrenue quand le canon de l’ennemie s’entoura d’une auréole de fumée et qu’une onde de choc souleva la poussière qui recouvrait la carcasse, sans aucun bruit. Il avait compris, mais le bruit d’une casserole géante qui venait de frappé son char résonnait encore quand il hurla : « Il a ricochet ! Putain il a ricochet ! » il appuya sur le bouton du télémètre laser , la cible fut soulignée de la distance sur l’écran cathodique noir et blanc.

« JAUNE 2 et 3 il doit pas être seul, les 2 premiers coups étaient quasi simultanés ! Trouvez les autres ! » « JACK , Le T55 1780 mètres obus-flèches » Le tireur répondit alors qu’il vérifiait ce qu’il savait déjà, un obus flèche était déjà dans la culasse comme ils en avaient convenues avec le chargeur au moment du départ de DOWNTOWN . « Obus flèche 1780 mètres T55 ! » « FEU » hurla le chef de char sans même passer par l’intercom, machinalement il avait mis un petit coup de pied à son tireur qui se trouvait à droite en dessous de lui. L’obus flèche M919 quitta le tube de 120 mm, le recul fit soulever l’avant de l’ABRAMS. A peine le coup parti, sous l’effet du froid le tube du de 120mm M256 à âme lisse recracha un mélange de condensation et de remontée de gaz suite à l’ouverture de la culasse, le chargeur préparait déjà mécaniquement le coup suivant sans même attendre le résultat du premier tir. La petite flèche à base d’uranium appauvri de seulement 96 grammes filait maintenant en direction de sa cible.

A deux mètre au-dessus d’un paisible champ de luzerne, une légère hausse négative au départ du coup faisait qu’il perdait de la hauteur au fur et à mesure de son avancé. 300 mètres après avoir quitté le tube le sabot se détachât de la flèche. Quand elle fut à moins d’un mètre cinquante du sol l’onde de choc de son déplacement commença à soulever la poussière derrière lui. C’est ce qui alerta le conducteur du T55. Qui déverrouilla sa trappe et pour tenter d’évacuer. L’obus passa à un mètre sur la droite pour taper à la base de la tourelle. Au contact l’obus s’écrasa contre la lourde masse de d’acier mais la flèche joua son rôle, elle perfora d’abord la base de la tourelle, puis la grosse crémaillère de celle-ci coulée dans un acier ukrainien tout proche. Lancé à près de 975 m/sec le dar était chauffé à blanc quand il déboucha dans le compartiment du chargeur.

Le corps de celui-ci n’offrit qu’une maigre protection aux obus stockés dans la nuque du T55. Le stock d’obus de 100 mm détona immédiatement projetant la tourelle 6 mètres en hauteur avant qu’elle ne retombe vulgairement dans le champ. Rylet avait les yeux collés à l’écran TV, il n’arrivait pas à se défaire de cette image , il venait de passer en moins d’une minute l’épreuve . Maintenant il savait ce qu’il valait, il l’avait fait. Pas une parole ne fut échangée par l’équipage, contrairement à ce qu’ils pensaient, pas d’éruption de joie, pas de cri. Une victoire certes mais ils avaient pris de gros risques en roulant sans précaution à grande vitesse en territoire ennemi et l’avaient presque payé de leur vie.

Le ricochet résonnait encore aux oreilles du chef de char comme un rappel d’avertissement. La peur mélangée à un stress d’une intensité qui leur était inconnu jusque-là avait gommé la joie de cette première victoire, ils la savoureraient après le combat quand l’adrénaline redescendrait « Jaune ! » « Jaune ! » Ce n’est qu’au troisième appel qu’il réagit « jaune ! » « ici Jaune , à vous » « Jaune 2, un kill sur T55 1600 milliemes 2000 mètres en bordure du bois. » Un bruit sourd résonna juste au-dessus de sa tête, Rylet cru que son cœur s’était arrêté un instant. Il reconnut la voix de Jaune 3 dehors : « Chef chef ! » Il tambourinait sur la coupole du tourelleau , le master sergeant ouvrit pour voir le visage du chef de char de JAUNE3 . « 4 T72 viennent de sortir du village en amont sur la route »

Rylet sortit la tête du tourelleau et avec sa paire de jumelles de dotation regarda au loin. Un petit hameau bordait la route, et effectivement quatre blindés au profil bas débouchaient. Le M1 versé dans le fossé explosa en premier. Puis un obus explosa sur le glacis avant de JAUNE 2 qui était posté 100 mètres à droite. C’était un HEI, impressionnant mais sans réels dégâts. « Jaune face à l’axe de progression, 4 T72, marche arrière » Dans un ballet bien orchestré les 3 M1A1 firent face à la menace et immédiatement entamèrent une longue marche arrière , les chefs de chars en surface guidaient leurs pilotes qui agissaient à l’aveugle. « Jaune FUMIGENES ! » Les 3 équipages de la cavalerie avaient répété cette manœuvre des dizaines de fois, les chargeurs approvisionnaient un obus fumigène et les tireurs réglèrent la hausse à 100 mètres devant eux avant de faire feu à l’unisson. En même temps les chefs de chars avaient déclenché les lance pot fumigènes. Ces vulgaires tubes en choux fleur de part et d’autre de la caisse lancèrent un demi-douzaine de grenades fumigènes en avant de chaque blindé.

Ce faisant les 1500 cv de la turbine à Lycoming avaient amenés ces 56 tonnes à plus de 50 km/h en marche arrière . Mais une autre volé d’obus les encadra, gênés par les fumigènes les tireurs des T72 étaient imprécis. « Les Jaunes on rentre dans le bois derrière nous à 500 mètres plein pot » Un légers vent venant de la mer se levait sur les côtes vastanne. Connu des enfants locaux, ils en profitaient habituellement pour faire voler des cerfs-volants. Cette brise marine portait surement un joli petit nom dans le dialecte local, Mais là l’effet fut tout autre, Rylet vit avec effroi son écran de fumée protecteur se dissiper plus rapidement que d’habitude , déjà il distinguait à nouveau les maisons du hameau, ils allaient se faire aligner comme au champ de tir, il mit la tête à l’intérieur pour hurler un ordre quand tout à coup au-dessus de lui un bruit étrangement familier le saisi. C’était le même bruit que la clé pneumatique qu’utilisait son père pour serrer les roues des clients dans l’atelier de la concession Ford familiale. Plus jeune il adorait passer du temps avec son père à travailler sur les moteurs. Ce souvenir agréable l’apaisât un dixième de seconde. Avant d’être rappelé à la réalité par le son creux et métallique de douilles qui rebondissaient sur son blindage. En ressortant la tête il eut juste le temps de voir la ressource du premier WARTHOG, déjà derrière lui le célèbre bruit caractéristique du canon gatling 7 tubes du casseur de char claquait dans l’air. BRRRTTT !

Trainant les gaz d’échappement du canon derrière lui l’ailier passa quelques dizaines de mètres au-dessus du peloton de blindé. A la ressource du deuxième avion, un T72 brulait. En arrivant enfin à l’entrée du bois dans lequel ils s’enfoncèrent en brisant plusieurs arbres au passage, Rylet perçut le HUMMER. Il l’avait oublié dans l’action. Debout sur le capot RAMEX parlait dans une petite radio UHF en regardant en direction du village. Rylet switcha sur l’UHF de bord.. « … Même cible BULLDOG ONE ONE, même axe, nos 3 blindés sont à couvert. » « Roger ZIPPO, BULLDOG 1.1 remet çà, GUN même axe, même cible . BREAK BREAK BULLDOG ONE TWO” “ONE TWO” “T’as suivi, on reste en Daytona pour une permanence des feux” « ONE TWO » répondit l’ailier.

Dans le dos de Rylet masqué par le bois qui les couvrait il entendait le rugissement des 2 moteurs de chaque A10 qui se rapprochaient et devant lui aux abords du village les impacts par dizaines du canon de 30 furent visibles avant que le fameux bruit ne se fasse de nouveau entendre . BBBBRRRRRRRRTT… Et l’A10 surgit a nouveau de leurs 6 heures.

« ONE ONE , esquive » la voix du pilote calme , posé étonnait Rylet , ces mecs étaient complètement détachés du chaos du combat qui régnait au sol. « Nice shot ONE ONE » annonça RAMEX sur l’UHF tout aussi calme. A cette annonce Rylet regarda le jeune LTN sur le capot du Hummer. C’est là que le Français toujours avec une paire de Randolph sur le nez et un chewing-gum dans bouche lui lança par-dessus le bruit ambiant des explosions lointaine et des moteurs de Char au ralentit : « We couldnt have done better» lâchât le pilote en rigolant avec un sourire digne d’une publicité pour un dentifrice. L’accent haché du français surpris Rylet qui ne comprit pas la phrase et dévisageait le pilote. Ces mecs étaient tout aussi déconnecté que les autre là-haut. Des clichés ambulant avec tous leurs patchs sur leurs combinaisons, les lunettes de soleil, les poches de tibia pleines de carte, et surtout.. aucun armement, ces touristes avaient laissé leurs M16 à l’arrière du HUMMER avec leurs FRAG… Le LTN Français fut interrompu par une explosion venant du bout de la route, une tourelle de T72 finissait son vol pendant que le dernier d’entre eux reculait à l’abri des rues étroites du village. « Des branlettes ces pilotes, mais bon, bien content de les avoir avec nous »

En rentrant dans le tourelleau il referma la trappe au-dessus de lui et rebascula sur la HF « OK les jaunes, on fait la tortue, maintenant on va y aller à notre rythme, je m’expliquerais avec la division, Jaune 2 en tête, jaune 3 ferme la marche . Tourelle à trois heures pour leader et 3. En avant lente ». Les3 blindés remontèrent sur l’axe et reprirent une progression prudente ce coup-ci . RAMEX et son adjoint restaient là à côté du HUMMER « OK BULLDOG, les bousiers reprennent la progression, on reprend l’escorte » « copy that Cowboy » « Bon on les laisse un peu partir devant avant de repartir ? » demanda RAMEX « Ouais, c’est clair » « Ok ce coup-ci je conduis » déclara le lieutenant « non, non , c’est moi qui l’ai perçu , t’as entendu le caporal des marines qui nous l’a donné : une seule rayure sur la caisse et il nous scalpe et ce mec était indien je te dis. » « Pas du tout ! C’était un Chicano, pas un Indien » « Écoute je te laisse conduire si je fais le prochain guidage … » Sur le bas côté de la route gisait Jaune 3 à moitié versé dans le fossé il brulait. Rylet regardait la carcasse en passant. Le blindé avait renversé un panneau métallique dans son embardé. Dessus il était noté « GOLOVINKA ».

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